Par Laurence Heitzmann et Laurent Lacoste
Article initialement publié dans la newsletter et sur le site de Méditation France
Le Tantra est un chemin de conscience. La moindre des choses est donc que nous nous demandions pourquoi nous écrivons cet article.
La première raison en est simple : si nous apparaissons ainsi sur le site et la newsletter de Meditationfrance, c’est d’abord pour que vous nous connaissiez mieux.
La seconde est plus complexe : au gré de nos diverses lectures et recherches sur le sujet du Tantra, dans notre tentative de mieux connaître ce que nous transmettons, nous avons rencontré les mots de nombreux philosophes, d’érudits, de maîtres, d’enseignants. Bien souvent, ce qui était exprimé a profondément enrichi notre recherche, notre compréhension et notre propre transmission. Nous avons pu mieux appréhender que ce que nous connaissions n’était et n’est toujours que la partie émergée d’un véritable iceberg. D’innombrables courants tantriques ont fleuri dans le champ du temps historique et du monde. Il y a autant de courants que de maîtres et de transmissions. Il y a autant de fleurs que de transmetteurs et de récepteurs de cette magnifique tradition.
Une chose nous a cependant touchés à plusieurs reprises : dans nos lectures d’écrits d’enseignants ou de philosophes contemporains érudits et renommés, souvent occidentaux, nous avons quelquefois trouvé des commentaires critiques à propos du Tantra occidental. Que le Néo-Tantra n’appartenait à aucune véritable tradition, que ce courant avait mal compris et mal digéré l’immense tradition qu’est le tantrisme et que ce n’était parfois qu’un prétexte à exploration douteuse de la sexualité. De toute façon, ils ont raison puisque c’est la réalité que crée leur mental. Nous nous plaisons toutefois à rappeler cette phrase d’Abhinavagupta, l’un des penseurs majeurs de la tradition tantrique du Shivaisme cachemirien : « l’impureté serait de croire qu’il y a de l’impur ». Tout est dit, dès lors, sur ce sujet et notre article pourrait s’arrêter là.
Mais nous n’en resterons pas là car cet article est aussi une occasion pour nous d’expliquer ce que nous comprenons du Tantrisme, tout au moins dans la forme que nous diffusons en occident, c’est à dire le Néo-Tantra. Nous pensons en effet que c’est aujourd’hui probablement la floraison la plus active et la plus vivante parmi toutes les branches du Tantrisme. Osho pensait que Freud, Jung et Reich avaient préparé le terrain pour l’avènement du Tantrisme en occident en permettant la prise de conscience de l’illusion que créent notre mental et notre ego. A nous désormais, parmi d’autres, d’en assurer la continuité pour celles et ceux souhaitant en faire l’expérience.
Le Tantrisme est un courant spirituel dont l’essence pourrait se résumer aux deux premiers versets du Spandakarika de Kallata (traduction proposée par Daniel Odier) :
La vénérée Shankari, source de l’énergie,
ouvre les yeux et l’univers se résorbe en pure conscience,
elle les ferme et l’univers se manifeste en elle.
Le frémissement,lieu même de la création et du retour,
est dépourvu de toute limite car sa nature est dépourvue de forme.
Dans ces deux versets s’exprime l’essence de ce sur quoi les divers courants du tantrisme ont construit leur lit. Il n’y a pas de séparation entre l’individu et le monde, la conscience sans forme et sans limite est l ‘énergie de l’univers et nous en sommes tous à la fois les conduits et la seule réalité. Le microcosme représenté par le tantrika est en même temps le reflet de l’univers et contient en lui le macrocosme qu’est l’univers. La sensation de la vacuité qui sous-tend toute chose et la sortie de l’illusion que l’individu est séparé, permettent d’accéder à la perception de l’énergie universelle. Le chemin du Tantrika est donc un chemin de conscience qui le mène à la réalisation de l’idée de non-dualité, de non-séparation.
On peut dire que le Néo-Tantra a pris forme en occident dans le creuset de la communauté expérimentale des disciples d’Osho, à Poona, en Inde. Osho n’était pas à proprement parler un maître tantrique. Il ne s’est jamais revendiqué d’un courant tantrique. C’était un sage qui s’est dit illuminé, un philosophe, un Guru au sens Indien du terme, c’est à dire, un maître en présence duquel des disciples décidaient de renoncer à leur ego, à leur mental afin d’accéder à la perception de la conscience universelle.
Osho a beaucoup discouru sur tous les grands courants spirituels et a pris appui sur eux pour transmettre son propre message, unique tant il englobait toutes les formes. Il a commenté le Bouddhisme, le Soufisme, le Zen et même l’évangile selon Thomas. Il a parlé du Tantra avec une tendresse particulière. Le tantrisme correspondait probablement assez bien à sa propre sensibilité, lui qu’on a qualifié d’anarchiste de la spiritualité. Plusieurs des pionniers du Néo-Tantra en occident sont issus de sa commune. C’est le cas en particulier de Margot Anand, de Sarita et du regretté Sudheer Roche et de tant d’autres que nous ne pouvons tous citer ici. Mais il serait faux de résumer le Néo-Tantra à la seule communauté des sanyasins d’Osho. En effet, se sont lancés dans leur interprétation du tantrisme, de nombreux thérapeutes, de simples particuliers qui ont eux-mêmes suivi des stages de néo-tantra, de Yoga ou autres. Nous citerons ici Charles Muir, Paule Salomon ou encore Jacques Lucas et Marisa Ortolan parmi les plus connus en France. Mais ils sont chaque jours plus nombreux. Quelquefois même, certains étudiants s’improvisent enseignants de Tantra après avoir assisté à deux semaines de stages. Nous ne tomberons pas dans le piège de juger cela même si la tentation est quelquefois un peu forte. Nous avons confiance que vous trouverez ce qui vous convient dans ce fourmillement d’initiatives que certains doctes trouveront fantaisistes mais que nous regardons comme le témoignage de l’extraordinaire vivacité de notre mouvance.
Si aujourd’hui le Néo-tantra est probablement le courant le plus dynamique du tantrisme c’est que les propositions abondent et se multiplient. Il n’y a pas de Gourous, (ou presque pas) car nous considérons qu’il existe d’autres manières de lâcher son mental et son ego. Il y a des gens qui en vivent en l’enseignant et qui font des propositions commerciales de stages. On pourrait porter un jugement sur le caractère commercial de cette offre, mais en même temps considérer que cela laisse les adeptes complètement libres de pratiquer ou non, d’arrêter, de recommencer, de s’arrêter à nouveau, de changer d’enseignant. Bref, le Tantrisme est et restera une doctrine de liberté, de libération et de non d’assujettissement. Aussi, la forme commerciale proposée en occident nous paraît-elle s’inscrire entièrement dans cette logique.
Au total, le Tantra est probablement une illusion, comme tout le reste. Mais c’est surtout comme cette vibration de l’univers, qui cherche son chemin à travers les temps et les humains. A un moment de l’histoire, elle émerge comme une fleur, éclot de graines oubliées dans une terre de montagne. Elle fleurit un temps, se fane et se dessèche après avoir répandu ses graines jusqu’à ce que la prochaine éclose. Cela donna le shivaïsme non-duel du cachemire, le Vajrayana, le Kundalini Yoga et bien d’autres fleurs encore. Pourquoi le Néo-Tantra ne serait-il pas cette autre fleur qui couvrira le champ de sa couleur et de ses senteurs ? Et peut-être croîtra-t-elle même au delà du champ.
Mais alors, comment définir ce Néo-Tantra ? A l’instar des autres courants du tantrisme, le Néo-Tantra se base sur le principe de non-dualité. L’idée qu’il est vain de classer le monde en opposition entre bien et mal. L’idée que notre mental est trop souvent le maître qui nous place en opposition à ce que vient nous proposer l’existence car il nous amène à juger ce qui se présente en fonction de notre passé et ne nous permet pas d’être dans une attitude ouverte et réceptive aux propositions de l’existence.
De ce fait, le néo-tantra propose aux tantrikas un ensemble de pratiques qui constituent un laboratoire expérimental, comme un laboratoire de vie qui leur permet de s’entraîner à vivre avec plus de clarté, plus de lucidité, plus de conscience. Prendre conscience, ce n’est pas faire à tout prix tout ce qui est proposé par les animateurs, c’est savoir observer comment notre mental se met en mouvement face aux différentes propositions. Comment nos automatismes et mécanismes de défense se mettent en marche, conditionnés par nos souvenirs, nos mémoires, notre passé ou la culture sociale ambiante, et nous empêchent quelquefois de vivre notre existence avec fluidité. C’est un ré-apprentissage de comment organiser notre continuité, notre fluidité, face aux propositions de la vie.
Le Néo-Tantra utilise pour cela ce que tous les courants tantriques proposent de manière plus ou moins codifiée : le corps. Ce sont des pratiques de respiration, de la danse, du mouvement, des mantras, des pratiques verbales, des situations de mise en relation avec d’autres personnes, quelquefois des massages, bref, toutes occasions possibles de prise de conscience, tout ce qui peut permettre de stimuler les émotions du tantrika et dès lors de lui permettre de s’observer. Car dès qu’il est conscient d’une situation, c’est à dire qu’il utilise son mental comme un outil de perception et qu’il ne lui est plus soumis comme à un maître, le tantrika se trouve dans la possibilité de choisir entre les possibles. Il ne s’agit plus de réagir à une stimulation externe de manière automatique, mais d’être capable d’observer une situation et de faire un choix. Ainsi, le tantrika cesse de lutter contre la vie et ses propositions, et apprend à rester connecté avec le monde et à ses stimulations, sans chercher à les éviter, tout en restant centré sur lui-même. En décidant d’abandonner la vaine lutte de l’ego et du mental pour s’ouvrir à l’expérience, il ouvre en lui un espace infini d’acceptation de ce qui est, qui est le véritable amour.
« Notre » Tantra n’est donc ni une exploration de la relation, ni une exploration de la sexualité. C’est un processus de recherche sur soi, de compréhension et de réalisation personnelle par l’expérience. Notre rôle de facilitateurs est d’offrir un cadre d’expérimentation aux participants de nos stages, un cadre qui soit à la fois sécurisant et bousculant. Un cadre qui propose aux personnes de sentir et d’exprimer leurs limites afin de créer une sécurité intérieure qui leur permette d’aller jouer, d’aller flirter avec ces limites afin de faire bouger leurs conditionnements et leurs programmes. Nous utilisons la relation à l’autre et quelquefois le sujet de la sexualité, non comme des « fins en soi » mais comme des facettes de la vie, comme des outils expérimentaux de développement de la conscience des individus. Dès lors que nous sommes plus et mieux conscients de nous-même, que nous pouvons être l’acteur et l’observateur tout en même temps, alors nous pouvons plus aisément nous tranquilliser intérieurement, apaiser notre mental, nos attachements au désir, et nous laisser retrouver – et non conquérir - l’état de vacuité, de non séparation. Dans notre compréhension, le Néo Tantra, le Tantra n’a d’autre finalité.
Nous avons le plaisir et la chance d’offrir ces laboratoires de vie dans le cadre privilégié et intimiste de notre propre école, Silent Mind Tantra, mais également dans celui, plus international et largement connu de SkyDancing Tantra, l’école fondée par Margot Anand dont celle-ci a bien voulu nous confier les rênes. Ce que nous aimerions et ce à quoi nous oeuvrons à notre humble échelle, c’est qu’un jour le Tantra devienne aussi connu et socialement assimilé que le Yoga ou le Football : nous pensons en effet que c’est un outil formidable qui pourrait transformer les mentalités et bousculer les névroses qu’engendre notre société. Le Tantra en occident en est à ses débuts. Il traversera sans doute des crises de croissance mais il s’installe durablement et il est un chant d’espoir, d’amour et d’acceptation pour le monde chaotique, le Kali Yuga (l’âge noir de Kali), dans lequel nous sommes installés.